Ode aux boulets liégeois


Sur l’assiette blanche et rêveuse, deux tendres ilots – que dis-je, deux soleils – et la mer caramel : tant de promesses langoureuses faites à mes yeux.
Tant de nectar s’immisce : nez, palais, poitrine. Le subtil fumet glisse, jusqu’aux plus profondes coulisses de mon corps.

Quel est ce sirop d’amour, d’un brun si brillant et hautement nourricier ?
Quel ingrédient païen produit cette danse intérieure, qui réunit l’âme et la panse ?
Qui jadis inventa ces boulets, nageant gaiment en leur miel foncé ?
Exquise harmonie du gras, du sel et du sucre.

Comment, ô comment, empêcher ces mots de monter en moi :
« Mets liégeois, me met en joie. » Ou encore :
« Devant les boulets, liesse est, tristesse n’est pas ».
Saurons-nous jamais, ô maîtres fondateurs, quel ingrédient secret rehausse cette sauce ?


Marier si fraîchement le sucre au gras est le chef d’œuvre gustatif opéré par les boulets liégeois. De là ils tirent leur pouvoir : unir, par générosité, des jouissances isolées. Comme si la vraie sapidité, c’est à dire la succulence la plus haute, ne s’atteignait que par l’union des contraires. Unies dans la matière et le temps : les saveurs durent, se savourent et s’augmentent mutuellement. Uniformément, sans haut ni bas. Synthèse, donc, du génie belge épicurien et subversif : confondre début et fin, plat et dessert, en somme mettre à plat – et paradoxalement, en danse – les saveurs ; vertu propre au plat pays à nouer lien dans l’antagonisme. Pour tout dire, la fraîcheur acidulée des feuilles de salade, le gras salé des pommes de terre frites, l’onctuosité de la mayonnaise et la douceur sirupeuse des oignons caramélisés, mêlés au sirop de Liège, forment un tout insurpassable.


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