Les kabouliennes n’ont pas Hinge
Le restaurant afghan où nous voulions aller était fermé. Wali, l’ami afghan de notre oncle Antoine avait fermé boutique ce lundi où nous avions faim.
Hasard bien fait, Paul avait en venant repéré un autre bouiboui originaire du tombeau des empires, situé entre le Jardin des Plantes et l’Institut du Monde arabe, où nous pourrions goûter la nomade et méconnue cuisine du pays des cavaliers.
Là-bas. De quoi accueillir dix personnes tout au plus. Quatre jeunes occupent une table, et un monsieur seul une autre. Un homme, pieds nus dans ses claquettes, la soixantaine, nous apporte les menus. Nous entendons une musique, peut-être en pachto ou en dari, dont le volume est très bas, et réglé au décibel près pour meubler sans jamais gêner les clients.
En entrée, une « salade afghane au yaourt ». Avec des dés de concombre, de la menthe, du yaourt et de la salade. Douceur inhabituelle. Au-delà du régressif. Je me suis procuré un livre sur la cuisine afghane où des photographies d’hommes armés de kalashnikovs parsèment les pages. Contraste entre les meurs de la guerre et la douceur de cette entrée, désarmante.
Paul, qui est mon cousin, et qui est un fin gourmet, entame un riz avec de la viande et des raisins et me dit qu’il n’a pas aussi bien mangé depuis très longtemps. J’entame un riz avec des boulettes de viande et une sorte de curry et avec du yaourt encore et voici qu’un moment dépassant l’ordinaire s’offre à nous.
Nous commandons du « dough », sorte de lait salé parfumé à la menthe séchée, que nous avalons à grands traits. Nous commandons tous les desserts à la carte, à savoir deux. J’ai au choix un fruit, orange ou pomme, et un « firni », un flanc blanc parfumé à la rose, à la cardamome et à la pistache. Qualifier la douceur de ce dessert de « céleste » resterait
un euphémisme. L’homme m’apporte une petite assiette sur laquelle trône une serviette blanche, sur laquelle règne une pomme entière, toute belle et toute ronde, accompagnée d’un couteau.
Nous sortons de ce restaurant presque défoncés tellement la simplicité de ces mets fit fureur, tellement leurs fulgurances et leur puissance nous étaient montées à la cabeza. Nous ne comprenons pas très bien ce qu’il s’est passé. Nous échangeons et nous disons que devons y retourner. Bientôt,
très bientôt.
Le vendredi suivant ce lundi où nous avions faim, nous devions aller manger dans un autre restaurant afghan, avec Santiago, le plus illustre grailleur colombien de la grande et belle capitale de France. Nous y sommes allés et c’était moins impressionnant. Moins d’innocence dans le dressage. La gentille serveuse avait pourtant un sourire qui éclairait la nuit parisienne.
Je suis allé dans un troisième restaurant afghan, rompant un jeune autour de dix-sept heures. Riz, haricots, viande et légumes nageant dans une mer de curry. C’était de la nourriture de guerre, idéale au dessein que je m’étais fait de cet après-midi, moi qui allait aller jeter des pavés sur la méritante maréchaussée macronnienne. Ah, les nobles Compagnies Républicaines de Sécurité… que le bruit des pavés ricochant sur vos boucliers est beau ! Ce fut fait, si je ne m’abuse, et ne projetant pas de faire de vous mes complices, ce fut fait en toute décence et en toutes proportions gardées. Serais-je arresté que j’assumerais tout à pleins poumons. Pour preuve, mon but est de vous divertir, vous les merveilleux êtres qui lisez ces lignes, vous qui méritez beaucoup, et dont mes seules histoires ne pourraient jamais suffire pour vous gâter comme vous le méritez.
Puisque graille nous pratiquons, et que de graille il s’agit, je voudrais dire un dernier mot sur l’Afghanistan en ce jour, qui ne sera d’ailleurs pas le dernier. Et je m’excuse d’ores et déjà pour le manque de rapport avec le sujet qui nous rassemblait jusqu’ici, à savoir la graille, le manger, et tout ce qui va à l’estomac.
Cela étant dit, ce qui suit est reste lié sur le plan géographique avec ce qui précède. Sur Hinge, tenez-vous et voyez-vous, j’avais également réglé ma localisation à Kaboul, pensant naïvement entrer en contact avec de belles kabouliennes ; et peut-être même, inconsciemment ou pas, trouver ainsi quelque raison folle de partir, vers ce pays auquel je suis aimanté par des biais incompréhensibles.
Je vous préviens, la fin de ce texte est abrupte et imminente. Je devrais me contacter de riz aux raisins, et vous aussi, car les kabouliennes n’ont pas Hinge.
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