Pastes.

     Le long de la Loire, j’ai entendu, l’été dernier, un châtelain, avec un vrai, grand et beau château, avec des champs pleins de fruits, dire qu’il ne mangeait presque rien, à part un peu de soupe et des nouilles. Si, sur l’instant, le mot nouille m’apparut fort plus élégant que le mot pâte, j’ai trouvé le terme d’une altesse assez drôle, pour ne pas dire ridicule. C’est quoi ça ? En bon français, les nouilles désignent des nouilles chinoises, et si ce monsieur avait des pâtes “classiques” en tête, celles que vous et moi mangez, le mot ne convient pas. En plus d’esquiver le “bon appétit”, le haut de la société française ne s’abaisserait-il donc pas à dire le mot pâte ? Ô emmuré croquant, j’aimerais beaucoup savoir ce que cette syllabe vous a fait. Mais je le devine déjà. Et pour cause, nouille commence par la syllabe no : le mot nouille offre une once de noblesse au plat le plus plébéen. Et pourquoi pâte n’a t-il pas bon goût dans la bouche d’un fut cousu d’or ?

Il n’y a pas que les nouilles
qui disent pâtes

Faisons-nous d’abord l’avocat du diable. Pâte, puisqu’il ne désigne pas que les nouilles, a certes quelque chose de bâtard, de mot-viande, de peut-être trop commun. De fait, l’inconvénient du mot pâte est qu’il désigne une préparation dont la viscosité varie de liquide à épaisse, et même à solide. Alors que le mot nouille est précisément la préparation alimentaire que l’on nomme communément pâtes. À son avantage, le mot nouille a un pedigree qui pourra vous surprendre : dès 1550, le mot nudel est employé en allemand, et dès 1767, il passe en français sous la forme de noudle ou nudeln (j’ai une grande préférence pour ce dernier… comme mon plat préféré sonne maintenant meilleur : ah mes nudeln à la tomatl! Ou ah, mes nudeln aux fruits incas!). De plus, les nouilles désignent proprement un aliment vieux de quatre fois mille ans, les lā miàn, faites à l’origine avec deux farines de deux millets, setaria italica et panicum miliaceum, je vous le jure, et qu’on a retrouvées dans les ruines de Lajia¹. Sa légitimité se défend donc assez bien bien.

     Mais après avoir dit cela, il faut dire que le mot pâte est probablement plus vieux (en français) que le mot nouille, puisqu’il descend du grec παστά, du latin pasta, et du moyen et ancien français paste. Alors, votre préférence est-elle toujours intacte ? L’auteur, si on le forçait à choisir, opterait sûrement pour paste, qui nous rapproche à la fois du Moyen Âge et de l’Italie, c’est à dire des bouffons d’un côté et de l’autre de l’excellence (en la matière). Disons, en conclusion hâtive, que si vous parlez à votre belle-mère bourgeoise, le mot nouille caressera mieux son oreille, et que si vous êtes avec des amis, nul besoin d’un caquetage ampoulé.

     Mais… mais comme nous jugerions quelqu’un qui n’emploierait jamais le mot pâte ! Pour revenir à sa musicalité, le mot pâte a, au-delà de sa polysémie, quelque chose de digestif dans sa phonétique : il est brut, sans détour, terrestre. Soyez sûr que quelqu’un qui esquive systématiquement le mot pâte n’est pas en lien avec quelque chose de simple en lui-même, et que sous ses atours de modestie, il ne fréquente pas la basse cour. Voyez : son tablier de jardinier est brodé, d’or et de pourpre, immaculé. Il ne croque pas tous les mots, ce qui fait de lui un croquant.

jean tertrain

  1. Dans la province de Qinghai en Chine.

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