France.

LA HAUTE COUTURE
DU BEURRE

J’ai pris un croissant. Elle préférait les tartines.
C’est vrai que la France est coupée en deux.
Il y a ceux qui préfèrent les tartines et ceux qui préfèrent les croissants.

L’Angoisse du roi Salomon, Romain Gary, 1979

     Il faut être en dehors du pays, depuis trois mois, ou mieux six, pour réaliser la valeur d’une bonne baguette, et de celle d’un bon croissant. Me le concédez-vous ? Sans orgueil : la France, qui représente moins d’un demi pour cent des terres habitées sur notre planète, est le berceau du croissant. De ce point de vue, si l’on essayait, au jeu de la mappemonde, de tomber au hasard sur une terre croissanticole, on aurait beaucoup de mal à réussir notre coup. Approchons-nous encore. Nous sommes maintenant dans nos frontières, et sur les trente-cinq mille boulangeries du pays, combien de chances avez-vous, maintenant, de tomber sur une des cinq ou dix meilleures ? Cet ordre de grandeur permet d’imaginer la rareté d’un bon croissant, à l’échelle de la Terre. Mais, vous, qui lisez ce texte : revenons une minute à vous. Vous rappelez-vous du meilleur croissant de votre vie ? Car même pour nous, qui vivons ici, ce n’est pas une question forcément évidente. Alors, c’est un sujet important, que de relater cette perle d’ici, au reste à peine célébrée.

Dans ce sens, j’avais, dans le livre précédent cet opus, parlé du croissant de Jean-Michel Carton. Avais–je été aveuglé par son palmarès ? Je ne le crois pas, car l’objet était une prouesse. Mais c’est ici une nouvelle découverte, un éclat, un bonheur de beurre, et auquel je ne puis rien comparer. Certes, la charmante Anissa¹, officiant depuis vingt ans, nous le donne encore tiède, à peine né et encore auréolé ; mais, est-ce tricher ? Ou est-ce davantage s’approcher de la vérité ? Car ce croissant, et je dois couper mes phrases ainsi, de manière courte, pour aller au vif, à la texture, à la saveur, est alvéolé, extrêmement tendre, et sa cuisson, si parfaite, qu’il fond, sous les dents, de tiédeur et de mollesse. C’est une cuisson, peut-être à la demi-minute près, où l’intérieur du croissant est à l’extrême jonction entre le sous-cuit et le cuit. Et, c’est comme si la chaleur de la bouche achevait, en remontant la pâte à la température du corps, la transformation de cette maille. Une fois uni et fondu en vous, ce croissant – ce beurre de race, cette riche dentelle – vous laisse alors, sur le palais, une onction de bonheur.

Mais chez BO², puisque nous y sommes, impossible de se contenter d’un seul croissant : dans la grande vitrine, tout agrippe vos yeux par des promesses de volupté. Les péchés de l’auteur y sont : le chausson aux pommes, dont les morceaux de pommes, parfois épais, hachurent les crocs d’une dimension rustique et bienvenue ; la chouquette à la crème et au caramel, éclatante éruption de douceur, légère jusqu’au bout : dessert si l’on veut, mais quatre heures ultime ; des cookies hors-norme, très épais et tendres : ils fondent aussi sous la langue, et ils sont parmi les meilleurs du spécimen français – honneur fait, également, avec une très fine précision, à la lisière de la sous-cuisson ; le pain au levain, si savamment acide et salé ; la frappe de leur galette des rois ; l’architecture visuelle du yogurt mousseux miel yaourt sapin douglas² compoté pomme verte poire sapin douglas biscuit yaourt noix ; enfin les baguettes, simples par excellence, vraies, et si prisées par celle ou celui qui fuguerait un peu trop longtemps hors du pays. Entre parenthèses : tout voyage n’est-il pas une fugue, une ellipse, et une rotation autour de ce qui, bientôt, nous sera le plus précieux ? L’auteur ne prétend nullement résumer, ni classer ici leur choix de bontés.

Je me rappellerai également longtemps de leur tarte prune jaune x rouge x crémeux laurier sauge x financier. Nuage, en apparence, d’une gelée rouge et jaune, notes vives et herbacées, presque de pin, et régression du gâteau à la poudre d’amandes. Alors, chère lectrice et cher lecteur, ne m’en voulez pas pour cet emploi chargé du mot très, et pour ces multiples fleurs : c’est que la boulangerie et la pâtisserie ne se trouvent portées à si haute altitude, dans le même établissement, qu’une fois par ère.

  1. Le comptoir de cette boulangerie est géré par quatre femmes. Elles sont, précisément, toutes les quatre, d’un professionnalisme, d’une minutie et d’une gentillesse rares, et pour tout dire exemplaires. Merci à vous, pour le lien – naturel, humain, et alimentant réellement la vie de ce coin gourmand du douzième – qui s’ajoute à ces douceurs.
  2. Une adresse régie par deux maîtres : Benoît Gindre et Olivier Haustraete.
  3. Pseudotsuga menziesii, aux épines recueillies par le très grand grailleur Pierre-Édouard Robine.

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4 réponses à « La haute couture du beurre »

  1. Avatar de Thérèse Hardouin
    Thérèse Hardouin

    quelle verve! Je suis très admirative Thérèse Hardouin

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  2. J’en reste baba ( au rhum)! PH

    Aimé par 1 personne

    1. Ha ha ha ! Merci Patrick !

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