Épices.
POUDRE BOTANIQUE
D’AUTOMNE
J’ai goûté, à deux pas de la galerie de Beaujolais, dans les parages du Palais-Royal et de son passé gourmand – puisque tout a commencé là, à Sirap – un mélange d’épices très sachant, très savoureux, très étonnant et très subtil. Accepteriez-vous que je vous en touche sept ou huit mots ? Si on se base sur la liste des charmeuses impliquées, et si l’on décortique le nez complexe qui se dégage de cette poudre, c’est une once de genièvre, le caractère trempé du cumin, l’esprit anisé du fenouil, les notes camphrées et citronnées de la cardamome, l’iode de quelque algue, le bois et la noisette de somptueux cèpes, la résine sauvage et presque mentholée du romarin, d’autres notes inconnues et qui échappent à mon palais. En outre, il faut goûter, à cru, sur la pointe de l’index, pour reconnaître ces couleurs.
Imaginez une journée d’automne, grise dans le ciel et jaune-orangée à terre. C’est ce jaune-orangé, que vient souligner, olfactivement, ce mélange d’épices “restaurant”. L’auteur dit restaurant, car c’est notamment pour faire un bouillon de vie, que les Roellinger préconisent cette poudre… Ah ! Un bouillon de vie ? C’est donc un bouillon qui restaure… et qui, par affiliation, descend du bouillon originel, le potage de légumes du potager et la marmite en fonte, sur les flammes dans l’âtre noire. Entendez : les voix et la chaleur d’une famille ; voyez : la grisaille au dehors, ignorée et vaincue. Bref, ce mélange est, au nez, tout à fait enivrant – s’il est senti à l’entrée de l’automne, par quelque être en quête d’une onde de chaleur.
Oh, le pensum ! Seriez-vous aussi affecté par ce trait ? Trop monomane pour supporter la diversité : le choix (trop vaste) vous oppresse, vous compresse, vous bloque et vous empêche ? Si c’est le cas, vous rassurerez l’auteur. Car l’antre des Roellinger, rue Sainte-Anne à Paris, est une véritable caverne d’Ali Baba, et il faut être fort décidé, ou fort sans le sou, pour repartir sans mainte emplette. Poudre de Vasco avec Maître Tseng, c’est quoi ça ? Moi je dis que ça a l’air merveilleux. Et la poudre des Vertus, c’est quoi ça ? Idem à coup sûr. Et pour abréger votre stupeur, demandez secours au très compétent vendeur. Et comment ne pas songer, devant ce Tmole d’exauce-langues, aux mille victuailles du concurrent de Chevet…
Oui car les Roellinger (si ce n’est seulement le père Olivier, qui dirige ce navire), en plus de cela, en savent quelque chose. Ils étaient, il faut le dire, au bon endroit, avec la bonne idée. Historiquement, Saint-Malo est une ville-clé du marché des épices en France : au XVIIIe, y rentraient les navires de la Compagnie française pour le commerce des Indes orientales et occidentales. Le père, ainsi, a grandi dans une malouinière ayant appartenu à une famille qui baignait dans cet environnement, entre embruns, poudres à canon et alliages d’épices. Devenu chef cuisinier et ayant gravi les échelons de la reconnaissance jusqu’à la troisième étoile du célèbre et pneumatique palmarès, Roellinger père – en orfèvre des saveurs – assure désormais la sélection et le dosage des mélanges avec une main de maître.
Avant de nous quitter, voici quelques aspects de ce projet qui ne peuvent qu’être soulignés en cette époque si troublée par les vents mauvais et la pluie des excès : chose inattendue, leurs épices brutes et plantes aromatiques proviennent de petits producteurs, en majorité issues de l’agriculture biologique et d’un commerce responsable. Les épices sont acheminées par bateau lorsqu’elles viennent des lointains.
L’heure nous oblige à conclure, puisqu’il est l’heure de souper. Laissons ici le mât, la voile et les corsaires, et si ces quelques phrases ne vous ont pas déplu, n’ayez maintenant, délectrices de chère et gargouillants chênes, plus peur des épices, ni de l’automne.
jean tertrain
1. À la Fernand Point, si l’on peut.
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