Chinon.
BRUTALE NOURRITURE
Pour m’ouvrir les sens, c’est d’abord une tarte flambée avec du porc (prononcer porque, en hommage à Maïté) hélas, des oignons, de la crème. Nous sommes en plein mois d’août. Puis, un plateau en bois vient à moi, dans les mains du petit-fils blond du patron, avec dessus : une terrine contenant un beurre d’escargot bien froid, et l’autre des rillettes d’oie, bien grasses ; une soupière remplie d’haricots blancs à la graisse d’oie et au vin blanc ; une salade à l’huile de noix, et un fromage de chèvre frais à la ciboulette. Comme pont-levis, pour porter tout ceci dans vos entrailles : une panière pleine de fouées – le naan tourangeau – bien gonflées, informes mais douces à l’œil, encore fumantes de la vapeur des flammes. Je suis vite dépassé par la charge lipidique. À mesure que j’avance sur cette falaise d’huile, escarpée et me portant tout droit vers le malaise, chaque bouchée pèse de plus en plus sur ma langue, mon estomac et mon foie. Mes yeux se voilent à mesure que je progresse, sinuant proche de la chute. On m’a donné un pichet de blanc de Chinon, qu’on a bien voulu échanger avec une pinte de jus de pomme. Le sucre empire ma situation. Le petit-fls fait des études en fnance et revient d’un échange “Érasmus” en Irlande. Il remplace son grand-père qui est, nous sommes réellement peinés de l’apprendre, de visite à l’hôpital. Dédé est une légende locale, le Garguantua de Chinon. On me fait voir la cuisine toute ancienne, la préparation des fouées, le four à bois dans lesquelles elles prennent vie, et la cave, où gît le vestige d’un musée animé du vin et de la tonnellerie. Nous remontons à la surface. Au mur, le diplôme de Chevalier Gousteur remis à Messire Denis Girard dit “Dédé la Boulange” par le Grand Maître de la Confrérie des Entonneurs Rabelaisiens. Parmi toute la décoration, véritable symposium du folklore chinonais, on peut zieuter, derrière une vitrine, une vieille famille de bouteilles – du calibre habituel au salmanazar, neuf litres – endormie sous un duvet centenaire de fils d’araignées. De combien de trous noirs ont-elles été les témoins ? Je dois déjà… aller promener : il faut vite que j’aille m’oxygéner la moelle. Je repars gonflé, gras, ô combien repu, prêt à soulever trois hivers ou à jeûner un été, peiné de n’avoir pas rencontré le célèbre et vigoureux Denis, avec des sueurs froides qui m’assaillent, une fourbe et irrégulière palpitation sur la tempe, et – à en croire le regard des passants – avec l’air un peu ahuri.
gustave savouré
- Un commentaire chiné sur sa page, qui ferait mourir d’envie les miens de payer visite à cet amphitryon : Patron malpoli, saoul, a râlé toute la soirée. Quand on lui a demandé une carafe d’eau pour les enfants : « Ohhh tu me fais ch… avec ta flotte » qu’il a répondu. S’endormait sur sa chaise près du four ; ou encore ce titre merveilleux : Allez-y quand Dédé est sobre… Graille dédie son souffle à ces êtres, anciens et en voie de disparition, et qui, vivant sans compter, nous sont une forme d’exemple.
Soyez bénis en faisant un don pour m’aider à développer Graille :
https://fr.tipeee.com/graille
Laisser un commentaire